Raphaël Prenovec

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Répétitions jubilatoires

À chaque fois le peuple exulte, jubile et fête la victoire du bien sur le mal. Marc Twain a dit « l’histoire ne se répète pas, elle rime ». Mais alors à quoi rime cette répétition jubilatoire ? Les hommes et les femmes tirent-ils véritablement les leçons du passé ? Se peut-il que les élans de réjouissance victorieuse rendent amnésique la mémoire collective des peuples ? L’évocation de l’entre-deux guerres ramène aux scènes de liesse et de jubilation exprimées par les peuples libérés du joug de1 À chaque fois le peuple exulte, jubile et fête la victoire du bien sur le mal. Marc Twain a dit « l’histoire ne se répète pas, elle rime ». Mais alors à quoi rime cette répétition jubilatoire ? Les hommes et les femmes tirent-ils véritablement les leçons du passé ? Se peut-il que les élans de réjouissance victorieuse rendent amnésique la mémoire collective des peuples ?
L’évocation de l’entre-deux guerres ramène aux scènes de liesse et de jubilation exprimées par les peuples libérés du joug de l’oppresseur, mais aussi aux années d’amusement des années folles, des années 30 et des années 40 marquées par les danses du Swing telles le Lindy hop, le Jitterbug, le Jive et le Charleston. Fred Astaire était incontestablement le danseur en couple le plus gracieux de l’histoire du vaudeville, du théâtre et du cinéma de cette époque et Guillaume Apollinaire l’un des plus grands poètes du début du 20ème siècle. Troublé par la seconde Guerre mondiale, cet enchantement populaire de l’entre-deux guerres n’aura pas duré longtemps. Les G.I. américains seront accueillis en héros libérateurs. Et une nouvelle fois, les peuples d’Europe seront gagnés par l’ivresse de liberté et par l’éternel désir d’en finir avec la guerre et l’oppression. La nouvelle victoire aura apporté un vent d’espoir ou d’illusion d’une vie meilleure, un nouvel emballement pour la fête et la joie partagée. Mais à quoi rime cette répétition jubilatoire ? Serait-elle l’expression d’un aveu d’impuissance à atteindre l’essentiel ou le vrai bonheur ? Combien même il ait été sincère, peut-on réduire cet emballement collectif à une parenthèse passagère, éphémère, véloce, précaire et fugitive ? Les hommes et les femmes auraient-ils négligé leur bonheur ? Auraient-ils oublié l’essentiel ? L’amour déployé n’aurait-il pas permis de panser les maux de la guerre et d’ancrer définitivement dans le temps la construction d’un monde meilleur ? Symbolisé par le baiser fougueux de Times Square d’un marin et d’une infirmière (14 août 1945), si cet amour incarne pour les Américains la joie du « VJ Day » (Victory Over Japan Day), il est loin d’incarner celle d’une paix définitive. Comment ne pas l’inscrire, lui aussi, dans une logique de répétition de l’Histoire ? Comme le souligne Karl Marx « l’histoire se répète, d’abord comme une tragédie, puis comme une farce ». Et si finalement, les efforts passés n’avaient-ils servi à rien, si les souffrances endurées n’avaient-elles pas permis de marquer les esprits et si l’amour n’avait-il pas permis d’éviter le pire, à quoi riment ces répétitions jubilatoires laissées par les images du passé ? Comment interpréter la joie, pourtant réelle, qui s’exprime sur les visages des foules victorieuses ou des couples qui s’aiment ? De quelle victoire s’agit-il exactement ? L’histoire ne se joue-t-elle pas de nous ? S’agit-il d’une farce ?
La question cruciale que posent les œuvres de cette série intitulée « Répétitions jubilatoires » est celle du sens à donner aux scènes répétitives de peuples en liesse aux lendemains de guerres dévastatrices ? Si elles ne donnent pas de réponse, elles donnent l’occasion au spectateur de se questionner sur la portée des jubilations collectives, victorieuses et triomphantes de la première moitié du 20ème siècle. Elles interrogent sur la possibilité d’effacement des erreurs du passé par des moments d’enchantements collectifs fugitifs et sans avenir. C’est moins la répétition des joies et des baisers partagés qui pose question que celle des conflits à répétition qui s’ensuivent toujours après, au point de mettre en doute la volonté des hommes et des femmes à construire leur propre bonheur. Qu’attendons-nous pour être heureux ?
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